L'annonce de la mobilisation, on l'imagine facilement car on la trouve représentée dans un certain nombre de romans (Le cheval d'orgueil de Pierre Jakez Hélias) et dans certains films (je pense en particulier à cette scène dans les montagnes corses dans le court-métrage de 1999 de Jérôme Boulbès, Le Puits), sans mentionner tous les témoignages qui en parlent : le tocsin, le tambour, les gendarmes. Cette annonce fut propre à chaque commune, mais certaines étapes furent les mêmes partout car organisées de longue date administrativement. Voici un exemple de ces étapes, complété par quelques éléments précieusement laissés dans les archives par le maire de l'époque.
En 1914, Gréoux-les-Bains est une petite commune du sud du département
des Basses-Alpes. Elle se trouve à la frontière avec le Var. La
commune, installée le long de la vallée du Verdon, est connue pour ses
eaux thermales. Sa population a nettement baissé à la fin du XIXe
siècle et se maintient autour de 1000 habitants. À part les activités
liées au thermalisme, la population vit des travaux agricoles. Les
isolats, dans les montagnes voisines, sont assez nombreux, comme
souvent dans les Basses-Alpes à cette époque.
Mon but n'étant pas d'écrire un roman, je ne vais pas essayer
d'imaginer quelles étaient les occupations des habitants de
Gréoux-les-Bains quand le télégramme suivant arriva à l'hôtel des
Postes, vers 16h55 :
Rapidement, le maire prépara un petit discours, à moins que ce ne soit
son adjoint, Bailly, qui signe tous les documents de cette période. On
ne sait hélas rien du moment où il en fit lecture, devant combien de
personnes et où. Il est probable toutefois qu'une partie de la
population se soit rapidement assemblée suite au tocsin ou au tambour.
Voici le discours manuscrit tel qu'il fut rédigé, mots rayés compris (source : AD 04, E DEP 094 4H1) :
Chers compatriotes,
Le premier jour de la mobilisation commence ce soir à minuit. Le 2e commence demain à minuit. Tous les militaires de la réserve et de la territoriale devront se conforter aux indications portées sur leur fascicule de mobilisation. Il est recommandé aux militaires de se munir de une ou deux paires de bonnes chaussures dont le prix leur sera remboursé par l'administration de la guerre. Mes chers concitoyens, je vous invite à faire tout votre devoir et à ne pas vous inquiéter dès maintenant parce que la mobilisation n'est ordonnée que par mesure de sécurité et qu'il n'y a pas encore de déclaration de guerre. Les chevaux, mulets et voitures réquisitionnés devront être rendus à Riez sur le pré de foire le 6 août jeudi, à 8h00 du matin. Les militaires qui ne comprendraient pas exactement les instructions de leur fascicule de mobilisation ou des affiches devront demander des explications à la gendarmerie. |
Dès réception, les gendarmes de la brigade placèrent aux lieux prévus à cet effet les affiches annonçant la mobilisation et les réquisitions. Les affiches furent retirées de l'enveloppe cachetée dans laquelle elles étaient conservées. L'enveloppe n'est pas présente dans les archives de la commune, mais on peut en voir parfois dans les archives d'une poignée de communes.
Aucune place n'était laissée à l'improvisation : les affiches
étaient imprimées depuis 1904 (date notée au bas des affiches) et il ne
restait qu'à écrire la date du premier jour de la mobilisation, leurs
emplacements étaient prévus de longue date. Voici les douze lieux
où elles furent placardées ce 1er août 1914 à Gréoux-les-Bains
(source : AD 04, E DEP 094 4H1) :
X Mairie (1 à l'intérieur, 1 à l'extérieur)
X Ferme de Rousset X Ferme de Pontoise X Ferme de la Tuilière X Ferme de Devançon X Ferme Bastide Blanche X Château de Lineau X Château de Laval X Ferme d'Aurabelle X Ferme de Vallongue X Les Bains |
La croix devant chaque nom de lieu est présente sur le document
original, probablement marquée pour indiquer que les affiches ont bien
été placées conformément à cette liste. En voici la répartition sur un
plan réalisé à l'aide du cadastre de 1836 (plus proche de
l'organisation spatiale de la commune de 1914 en net repli avec ses
1000 habitants qu'une carte IGN actuelle montrant une ville de 2500
habitants en expansion très rapide).
Cliquez sur la carte pour la voir en grand format.
Le maire fut un rouage administratif essentiel au cours de la guerre. Celui de Gréoux eut à gérer très vite la mise en place de la garde civile début août 1914 ainsi que la publication quotidienne du Bulletin des communes.
Après avoir géré la fin de la garde civile le 31 octobre suivant, c'est
une tâche bien plus difficile qui commença pour lui : dès le 7
novembre, il eut à annoncer, avec tous les ménagements nécessaires, la
mort de leur fils Marius à Auguste et Estève Blanc. Puis ce fut la
gestion des prisonniers, des réfugiés, les recensements des jeunes
classes et des réformés et exemptés des classes précédentes, des
demandes d'informations de la préfecture ou du bureau de recrutement,
des demandes de justificatifs pour obtenir certains types de
permissions...
S'il ne faut pas imaginer un discours du maire dans chaque commune, les
autres étapes furent les mêmes partout : un télégramme, la mise en
place des affiches de la mobilisation et des réquisitions aux
emplacements prévus et finalement le départ des hommes.
Cet exemple montre qu'il est possible de trouver des traces de ces étapes dans les documents conservés par une commune, qu'il soient dans la commune ou déposés aux archives départementales. On découvre alors un nouvel aspect de ce conflit, local. Même s'il ne faut pas faire l'impasse sur cette recherche, il est tout de même courant de ne strictement rien trouver.
Archives communales de Gréoux-les-Bains, Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, E DEP 094 4H1
Cadastre napoléonien de 1836, Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, AC 094/1
Le 1er août 1914 vu depuis les écoles à Rouen, sur le blog de Valérie Q.
Publication de la page : 1er août 2014 - dernière mise à jour : 4 août 2014. |