Retracer le
parcours d'une recrue (9)
Le certificat de bonne conduite
Voici une information que l'on trouve
systématiquement sur la fiche matricule, sous différentes formes,
avec deux possibilités seulement, « accordé » ou
« refusé ».
Le principe :
Les hommes libérables répondant aux
exigences fixées par le règlement de service intérieur obtiennent
un certificat de bonne conduite. Sous la forme d'un diplôme signé
par le chef de corps, le général de brigade ou l'officier général
dont le corps relève directement, ce document avait une valeur
particulière pour l'homme. Il marquait la fin du service actif et
revêtait une grande importance pour un futur emploi (dans la
gendarmerie par exemple). Dans un livre à la gloire de l’œuvre
éducative et moralisatrice de l'armée
(1), un lieutenant écrit, ce
qui résume bien la vision qu'on avait du certificat de bonne
conduite à l'époque : «
le certificat de bonne conduite
qu'ils emportent, signé du Colonel et du Conseil d'Administration du
Corps, est la meilleure des références ». C'est aussi un
discours présent dans la littérature pour jeunes garçons comme
dans un ouvrage de la série « Tu seras »,
Tu seras
chef de famille (2) : «
Le devoir de tout bon
Français est de mériter un certificat de bonne conduite pendant son
service militaire. C'est son intérêt, car cette pièce est fort
utile pour trouver un emploi ».
On le retrouve souvent précieusement
roulé voire encadré.
La variété des diplômes est grande
car il devait respecter les modèles réglementaires (modèle XXVI pour
l'infanterie, modèle XXVII pour la cavalerie et l'artillerie) décrits
en annexe dans les règlements du service intérieur de
chaque arme,
mais n'y avait pas de modèle unique. Illustré ou non, de grande
ou de petite taille, même son texte pouvait varier : «
Le
certificat est établi sur beau papier, résistant et illustré de
faits d'armes tirés, autant que possible, de l'histoire du
régiment » indique le règlement.
Les changements intervenus au cours de
la période 1887-1914 expliquent la variété des diplômes, des
textes et des informations qui y figurent. Il arrive
que l'on trouve le statut marital de l'homme (célibataire, marié,
veuf) et le nombre d'enfants qui n'est demandé par aucun des
règlements consultés. Sur d'autres modèles, dans le respect des
modèles, on trouve le détail des jours de punitions depuis 1883.
Gros plan : La note
ministérielle du 16 janvier 1891.
Il était d'autant plus précieusement
conservé qu'il n'est pas fourni de duplicata ou de copie.
D'ailleurs, des sanctions étaient prévues par l'article 161 du code
de justice militaire pour les personnes ayant réalisé ou utilisé
un faux certificat de bonne conduite
(3). Il n'est pas possible non
plus
aujourd'hui d'en obtenir une copie auprès des services de l'Etat.
Les conditions pour l'obtenir :
Ce sont les décrets de règlement du
service intérieur successifs qui précisent les modalités du
précieux document. Le texte le plus ancien référencé dans les
décrets est une note ministérielle en date du 26 juillet 1853 et
semble donner les prescriptions pour recevoir le document,
prescriptions globalement toujours en usage un demi-siècle plus
tard.
Voici un résumé des modalités
d'obtention du certificat :
Avant 1892 |
Conditions : au moins un an de service armée,
« aucune punition qui blesse l'honneur ou qui annonce
l'indiscipline ou l'inconduite habituelle ». |
1892-1905 |
Article 327 du règlement du service intérieur dans
l'infanterie.
Article 318 du règlement du service intérieur dans la cavalerie.
Article 345 du règlement du service intérieur dans l'artillerie.
Conditions : 1 an et 1 jour de présence effective. « Pas de
punition touchant la probité, l'honneur, la moralité et qui n'a pas une
conduite inhabituelle, pas de punition de 15 jours de prison au cours
de la dernière année du service ». |
1905-1913 |
Au moins 6 mois de présence effective. Pas de punitions
supérieures à 8 jours de prison régimentaire (peine entraînant un
maintien au corps à l'échéance du temps de service actif de la classe).
|
Quelques jours avant la libération de
la classe, une commission spéciale se réunit. Sa composition varie
en fonction de l'unité (régiment, bataillon de chasseur, cavalerie,
artillerie...). Dans tous les cas, elle est présidée par le chef de
corps qui est au final le seul à signer le certificat. La décision
prise par la commission est validée par le général de brigade.
Même les désaccords entre la commission et le général de brigade
sont prévus : c'est le ministre de la guerre qui décide en
dernier ressort.
Pour en savoir plus, la lecture de
l'article 327 du règlement du service intérieur de linfanterie du 20
octobre 1892 est très instructif.
Gros plan : L'article
327 du règlement du service intérieur du 20 octobre 1892.
Une fois la décision définitive, le
soldat reçoit son diplôme et le
livret
matricule est complété. On en trouve la mention
réglementairement dans la fiche matricule de chaque conscrit et
parfois dans son livret individuel.
Dans la fiche matricule :
De ce certificat de bonne conduite ne
reste bien souvent que la mention dans la fiche matricule, sous une
forme manuscrite ou réalisée à l'aide d'un tampon, toujours avec
des formulations variables :
- A reçu ou a obtenu un certificat de
bonne conduite
- Certificat de bonne conduite :
accordé (manuscrit)
- Certificat de bonne conduite :
accordé (tampon)
- Un mélange des deux (tampon et
manuscrit)
On trouve sa mention sous une forme
complète comme dans les cas présentés ci-dessus, et c'est la forme
la plus fréquente, mais aussi sous une forme abrégée :
« Certificat de BC accordé » comme dans le cas
ci-dessous voire « CDBC accordé ».
Certificat accordé ou refusé :
Tourner les pages de registres
matricules permet de constater que la mention « refusée »
n'est pas si fréquente. Dans son étude, l'historien Jules Maurin,
dans le tome 3 de
l'Histoire militaire de la France (4),
indique que 1 à 2% des hommes d'une classe sont concernés.
Le cas ci-dessus est
celui d'un mutin du 17e RI en 1907
(5) : aucune indication de sa
condamnation ni des faits, mais un envoi en Afrique du Nord puis le
refus du certificat, c'est tout.
La liste des
condamnations d'un homme ne suffit pas pour comprendre pourquoi elle
n'a pas été accordée : la fiche matricule est bien souvent vide
d'éléments pour le comprendre et l'indication d'un passage devant
le Conseil de guerre n'est que la partie émergée de l'iceberg.
Quand on observe les relevés de punitions de recrues dans les rares
livrets militaires qui n'ont pas été détruits ou dans les dossiers
de Conseil de guerre, on constate que la réalité dans sa complexité
nous échappe et qu'on ne peut que l'approcher avec la mention allant
avec le certificat de bonne conduite et les jours de maintien au
corps.
Gros plan : Le
relevé de punitions du soldat Pailleux (29e BCP)
De même, dans certains cas, un grand
nombre de sanctions, un maintien au corps à la fin de la période
d'active n'empêchaient pas une recrue de recevoir son certificat :
la commission jugeait au cas par cas et le général de brigade
pouvait faire la proposition pour qu'il l'obtienne.
Le cas des hommes qui ne sont pas
tenus de présenter un certificat de bonne conduite :
Les hommes ayant fait moins d'un an de
service de 1889 à 1905 (article 327 du règlement du service
intérieur) ou moins de six mois à partir de 1905, sont dispensés
de présenter ce diplôme. Cela concerne les recrues réformées au
cours du service actif. Cette dispense est parfois notée dans les
fiches matricules comme on peut le constater dans l'exemple
ci-dessous :
Toutefois, le cas où ces hommes
seraient rappelés au service actif est aussi prévu (circulaire du 8
septembre 1898) : «
Dans le
cas où ces hommes seraient
rappelés à l'activité, ledit certificat sera remis au conseil
d'administration, qui, à la libération définitive de l'intéressé,
délivrera ou en refusera un autre, dans les conditions
réglementaires ». Un nouveau texte modifiera ce cas :
l'ancien certificat sera détruit.
Le certificat de bonne conduite dans
le livret militaire :
Il est possible de
trouver la mention de l’obtention du certificat de bonne conduite
dans le livret individuel.
Toutefois, si dans la
circulaire ministérielle du 16 août 1892
(6) relative au renvoi dans
leurs foyers des hommes à libérer en 1892 il est rappelé
l'importance de faire figurer cette mention dans le livret
individuel, on ne la trouvera que dans les modèles antérieurs au
décret du 26 juin 1901 : à partir de cette date, la mention de
refus ou de délivrance du certificat n'a plus à y figurer. Cela
explique que le modèle 1906 ne possède plus d'emplacement à cet
effet.
Toujours pour se
conformer aux textes officiels, on trouve normalement l'indication
pour certains hommes qu'ils n'ont à justifier de l'absence de
certificat car ils n'ont pas passé un an à la caserne.
Avant 1901, il est aussi
possible de trouver des livrets vierges de toute mention alors que
l'homme a bien passé au moins un an et un jour à la caserne.
En contradiction avec le
règlement, la case ne fut pas toujours complétée avant 1901 comme
dans le cas ci-dessus. Cela explique les rappels officiels
comme dans la circulaire ministérielle du 16 août 1892.
Gros plan : Le décret du
26 juin 1901
Pour compléter cette page, je suis
à la recherche :
- du texte la note ministérielle de juillet 1853 ;
- d'images de certificats de bonne conduite.